Complément d'humeur

Vivre me prend tout mon temps

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Chroniques du bonheur ordinaire

J'aime, quand j'ai un gros creux, remplir un bol presque à ras-bord et verser le lait d'une main en maintenant les céréales en place de l'autre pour pas que ça déborde.

Quand j'ai juste une petite fringale, choisir une petite coupelle mais manger quand même avec une grande cuillère.

Prendre une douche en moins de cinq minutes (lavage de cheveux inclus) comme à l'internat, me savonnant très vite, toujours dans le même ordre : ventre, seins, sexe, bras gauche puis droit, dos, fesses, cuisses, mollets et pieds droit puis gauche.

Faire couler un bain brûlant et avoir besoin de cinq minutes pour y entrer, et y rester en rajoutant de l'eau chaude jusqu'à la fin de mon livre.

Ecouter de la musique très fort, en chantant faux mais fort aussi, et parfois en improvisant des danses dédiées à moi seule.

Ecouter de la musique tout doucement avant de dormir, si bas qu'il me faut tendre l'oreille et deviner les notes.

Ecouter de la musique en concert, près de la scène toujours, ne pouvant m'empêcher de chanter à mi-voix, entrer en transe et n'en sortir que plusieurs heures après - marcher dans les rues que les néons éclairent en laissant résonner les notes dans ma tête, et sur les murs losqu'elles m'échappent.

Ecouter de la musique de merde en boîte (une fois par an), juste pour danser, aller sur la piste et m'en échapper seulement le temps de boire une gorgée de Martini (je devrais me faire rémunérer, vu toute la pub que je leur fais) ou de taxer une clope. Etre une reine ces soirs où je l'ai décidé, danser comme on expulse un trop-plein, juste pour le plaisir, mais constater que tous les hommes ont les yeux fixés sur moi. Les ignorer.

Lire en marchant lorsque je connais le trajet, pour ne pas faire de coupure.

Marcher en détaillant chaque chose, pleinement présente dans l'instant.

Faire les gestes si habituels de la cérémonie du thé pour l'offrir à des amis.

Jeter un coup d'oeil dans le frigo et improviser une recette qui utilise tous les restes.

Rentrer chez moi quand Romain a invité des amis et être accueillie par des saluts chaleureux, un thé, une cigarette qui fait rire.

Rentrer seule chez moi, mettre "de la musique avant toute chose" (Verlaine encore, l'Art Poétique), puis enlever mes chaussures, lancer un thé (pas trop fort, oui je sais)... soirée tranquille avec moi-même.

Rentrer juste retrouver mon frère, lui faire un bisou et l'entendre jouer de la guitare pendant que je trie dans mon sac ce qui reste de mes expéditions de quelques jours.

Rentrer avec Lunar chez moi, et sa tête surprise parce que la porte est fermée : l'appart-tribu est rarement vide, et jamais verrouillé quand on y est.

Etendre le linge, méthodiquement (ceux qui pensent "maniaquement" sont priés de la penser tout bas), chaque rangée du séchoir l'une après l'autre, chaque vêtement bien à plat, les chaussettes par paires côte à côte.

Enchaîner tellement de lessives que je suis obligée d'en suspendre dans tout l'appart, ne laissant échapper aucun radiateur, aucune poignée de porte, chaque dossier de chaise confortablement revêtu d'un pull. Ca plaît pas à mes colocataires en général ;)

Me déshabiller le soir pour me glisser dans des draps propres, et miauler pour appeler le chat. Entrouvrir la couette et l'aider à trouver une position confortable.

Lorsque je l'ai oublié, le sentir sauter sur l'oreiller et tourner jusqu'à ce que je l'accueille près de moi.

Retrouver dans la tour à CD un disque que je n'ai pas écouté depuis longtemps.

Ecouter le même album en boucle pendant de longues périodes, jusqu'à sentir chaque note dans ma moëlle, jusqu'à connaître chaque mot.

La pause clope entre deux tournées d'une grosse vaisselle.

Nettoyer soigneusement la table de la cuisine avant d'y étaler tous mes papiers et outils pour confectionner du papier à lettres, et découper, coller, agencer frénétiquement pendant trois heures.

Traîner longtemps dans mon lit le dimanche matin après le premier réveil. Lire parfois, ou bien me masturber et me rendormir tranquilement.

Me blottir presque endormie contre celui qui a partagé ma nuit et nous laisser glisser du sommeil aux câlins.

Inviter des gens à la maison et passer mon temps à leur proposer à boire et à manger. Ou alors leur faire sentir qu'ils sont chez eux, si bien qu'ils proposent de ramener quelque chose lorsqu'ils vont se servir dans la cuisine.

Disposer encore un peu mieux les babioles sur mon étagère, en profiter pour ouvrir toutes les boîtes et faire un petit voyage dans mon passé.

Regarder par la fenêtre toutes les lumières allumées aux fenêtres des immeubles qui nous entourent, et imaginer la vie de leurs occupants.

Me promener nue en sortant du bain, jusqu'à être sèche.

Lorsque je suis seule, aller aux toilettes sans fermer la porte - en plus ça évite que le chat miaule devant.

Toujours, en profiter pour lire une millième fois les annonces de marabouts dont on a recouvert un mur.

Traîner deux ou trois jours, en peignoir ou en djellabah, cheveux sales et pas coiffées, pas épilée. Roots.

M'épiler et me sentir toute lisse et sortir mes jupes et débardeurs, et savoir qu'aujourd'hui je suis belle.

Dormir rideaux ouverts et être réveillée par les rayons du soleil, sourire au rendez-vous.

Dormir rideaux fermés et ne pas connaître l'heure en ouvrant les yeux.

Laisser la porte entrouverte lorsque je me lave pour que mon chat puisse s'assoir sur le seuil et vérifier qu'il ne m'arrive rien.

Me laver en fermant la porte pour pouvoir me caresser dans le bain.

Flipper lorsque je vois l'heure dans la salle de bains et me rassénerer en sortant parce que j'oublie toujours qu'on ne l'a pas réglée après le dernier changement d'heure.

Allumer toutes les lumières même si je suis seule parce que ma présence emplit toutes les pièces.

Rester dans la pénombre, à la lueur des bougies, et me faire un cocon tiède de l'obscurité.

Tourner la page du calendrier au début du mois. Ou laisser la même parce que la suivante est moins jolie. Ou réaliser le vingt qu'on n'y a pas pensé.

Petits riens du tout qui constituent la majeure partie de nos vies. Si l'on n'y prête pas attention, on s'enlève plein d'heures d'un coup. Moi j'y trouve du plaisir - gestes futiles, parce qu'il faudra les recommencer sans cesse, et platement matériels... gestes vains, nécessaires, chiants si on le veut. Souvent ils m'enchantent. C'est beau aussi, le quotidien.

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Commentaires

1. Le mardi 2 décembre 2003 à 13:15, par Asa

> Chroniques du bonheur ordinaire
C'est marrant je pense pareil lol. C'est toutes ces petites choses qui nous font adorer la vie.

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Présentation

J'ai commencé à ouvrir les pages de mon carnet intime lors de mon passage à la non-exclusivité amoureuse, parce que j'avais besoin de poser des mots sur ce que je vivais et de le partager. J'aime garder ici des traces de moi, parce que je suis souvent surprise de retrouver longtemps après quelles furent mes pensées et émotions à un moment donné... ma démarche ignore toute pudeur, soyez prévenu.e.s. Ainsi donc, voici mes amours, ma vie en squat, et quelques réflexions politiques.